Ghislaine Cornu, formation libre

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    ARTICLE PARU DANS Ma(g)ville Fêtes 2014 n°45.

Entourée d’une vingtaine de collaborateurs, elle propose des formations en milieu carcéral, maintient les échanges public/privé et tisse des liens avec les détenus.

On n’entre pas dans le Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse comme dans un moulin. Mon rendez-vous m’a demandé une copie de mon identité quelques jours auparavant. Sur place, pas de sonnette, simplement une vitre teintée de laquelle s’ouvre un tiroir pour y poser le passeport. La porte franchie, un agent me remets une clé de casier dans lequel iront portable, appareil photo et tout objet de valeur. Mon rendez-vous est là, juste après le tourniquet. Le sac passe aux rayons X. Ne pas faire sonner. Après trois demi-tour et avoir enlevé montre, ceinture, et les quelques centimes restés en poche, l’entrée est alors envisagée. Personnel d’accueil courtois mais ferme. Professionnel.

Ghislaine Cornu me reçoit dans un vaste bureau qui pourrait être celui de n’importe quelle «working girl» si ce n’est la présence de barreaux aux fenêtres et un talkie-walkie à portée de main. Nous sommes effectivement bien en prison.

La réinsertion par la formation.

Ghislaine Cornu travaille depuis octobre 2011 pour Gespa. Cette structure privée assure au centre pénitentiaire maintenance, buanderie, restauration, transport, ainsi que la formation et le travail (ateliers de production).

Des formations basées sur le volontariat, pré-qualifiantes et qualifiantes reconnues par les centres d’examens agréés. Ainsi le détenu, quelques soiet sa peine et l’avancée de son jugement, peut préparer un CAP en bâtiment,  se former aux métiers de cuisinier, de peintre décorateur, ou être intérimaire sur un chantier. Parce ce que « passer vingt heures par jours en cellule, c’est long », le détenu a besoin de s’occuper. Puis il faut penser à l’après, à la sortie. Et on sait combien il est difficile de reprendre une vie « normale » après un temps d’incarcération, ne fut-il que de quelques mois. Et Ghislaine Cornu l’assure « on a de belles réussites ». Comme ce jeune qui a arrêté l’école en CM1, n’a jamais passé de diplôme et qui était un réel élément perturbateur. Il s’est engagé et a passé le CAPA (Certificat d’Aptitude Professionnel Agricole). « Il fallait le voir à l’oral, c’était impressionnant. Quelle fierté pour lui de ramener un diplôme. Le premier de toute la famille ». Ici la réussite est globale. « Je sais pourquoi je me lève le matin, nous avons des métiers ou l’on a des croyances ». C’est le détenu qui est gagnant et les partenaires ont réussi leur mission. « Avec certains on part de loin. Il faut reprendre des automatismes de base, parfois jamais acquis ». Et pourtant le taux de réussite aux examens, souvent exigeants,  frise les 100%. « L’enfermement ne pousse pas à faire des activités, notre rôle est de proposer, d’intégrer et  d’encourager ».

Des tensions

En prison, la vie est compliquée. Parce que le moindre incident prend une ampleur considérable et parce que les craintes se font ressentir. « Imaginez juste que l’on vous laisse tomber par téléphone, que vous apprenez que votre enfant est malade à travers une vitre et que vous ne puissiez rien faire». Avec le personnel pénitentiaire l’échange est permanent. Bien sûr, Ghislaine Cornu entends les polémiques et voit les problèmes. Ce n’est pas son rôle, à elle, de les commenter mais de s’investir pleinement avec l’administration et les partenaires tels que pôle emploi, la mission locale ou le  SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et  de Probation) pour rendre un quotidien un peu plus intéressant et donner un sens. «  Ici, c’est difficile pour ceux qui ne font rien ». En formation le détenu doit être responsable. Comme à l’extérieur, il candidate, il passe un entretien et doit satisfaire le client.

Dialoguer et démystifier.

Ghislaine Cornu présente bien et a du tempérament. La classe, quoi ! Mais elle sait le poids de la responsabilité. « Ici, il y a des délinquants ». Les méchants comme dans les films. « Mais il y a aussi le père de famille qui n’a pas payé sa pension alimentaire et le jeune de vingt ans qui a conduit sous l’effet d’alcool et qui a tué. Vous savez, il suffit d’une soirée bien arrosée pour se retrouver ici ». Elle se désole un peu de cette vie devenue « facile ». « Beaucoup de choses partent à la dérive. Si on n’a pas un minimum d’éducation tout peut  chavirer, très vite ».

Avec son ado, qui s’imagine qu’en prison « c’est vachement bien », elle dialogue. Pas fouettarde, ni possessive, juste ancrée dans la réalité.

Dans une autre vie, elle était chez PROMAN, dans l’intérim. Jusqu’à l’agression. « Et c’était un bon français, un bon monsieur de 50 ans, propre sur lui. Il pensait juste qu’il lui fallait tout. Tout de suite ». Et de rajouter en regardant son bureau : « c’est bizarre, mais je me sens plus en sécurité ici ».

Avec ses équipes, elle dialogue. « Ils ne sont pas là pour se mettre en danger ». Alors, pour se préserver, personne ne connaît le jugement ou la peine du détenu. « Puis comme ça on ne juge pas ». Elle débriefe, souvent. Et dès qu’un collaborateur perd pieds, elle rappelle la ligne de conduite et invite à prendre du recul. « On échange beaucoup, puis on décompresse».

Avec les partenaires, elle dialogue. « L’avantage du privé c’est que l’on sait faire ». Elle rectifie immédiatement « on a les moyens de fédérer, de dialoguer et de prendre le temps ». Aucune critique, car même avec le devoir de réserve, on sent tout le respect pour l’administration.

Parler, Ghislaine Cornu aime ça. Je la quitte une heure et demi plus tard. Nous sortons du bâtiment administratif. Traversons une étroite cour avec plein de barbelés et surmontée de miradors. Elle me fait remarquer comme c’est calme. En effet, le calme absolu. Il est 11h30.

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